Delicieux article des archives du Figaro de 1913.
L'heure de la chasse
Cour d'appel (chambre des appels correctionnels)
La loi du 3 mai 1844 défend la chasse pendant la nuit. L'obscurité rend, en effet, le gibier trop facilement abordable, et la loi veut le protéger. Mais, qu'est-ce que la nuit? On n'est point d'accord. Est-ce l'espace de temps qui s'écoule entre le coucher et le lever astronomique du soleil, ou bien fait-il nuit tout simplement lorsqu'on ne voit plus clair? Devant ce problème les légistes ont des opinions contradictoires. Le 27 octobre 1912, un cultivateur d'Eure-et-Loir, M. Laurent, chassait. Il était exactement six heures cinq du matin. Survient un garde.
-Je vous dresse un procès-verbal.
-Pourquoi?
-Parce qu'il fait nuit!
-Nuit? Mais vous m'avez aperçu du bout de la plaine!
-Oui, mais il fait nuit tout de même.
Il est six heures cinq, et aujourd'hui, 27 octobre 1912, le soleil ne se lève qu'a six heures quarante minutes. Il ne fera donc jour que dans trente-cinq minutes exactement; vous commettez un délit.
Le garde dressa procès-verbal, M. Laurent fut poursuivi devant le Tribunal de Châteaudun et condamné. D'abord deux cents francs d'amende, puis pendant cinq ans interdiction de chasser. Tout cela pour n'avoir pas réglé sa montre sur le soleil, et avoir cru qu'il faisait jour lorsqu'on pouvait de loin apercevoir un lièvre détalant sur la plaine.
M. Laurent fit appel, et le 25 avril 1913, après plaidoirie de Me Charles Buhot, la Cour a décidé que les travaux préparatoires à la loi de 1844 avaient voulu défendre la chasse nocturne, la chasse dans l'obscurité, et que la distinction entre le jour et la nuit pouvait être une question de fait soumise à l'appréciation des Tribunaux. Or, le procès-verbal dressé contre M. Laurent, portait qu'a six heures cinq on y «voyait à chasser». Le calendrier avait donc tort, on pouvait voir clair sans le soleil, dans ce moment crépusculaire qui précède le lever officiel de l'astre. S. M. le soleil a lui aussi son petit lever, comme on aurait dit au grand siècle. Et la Cour a acquitté M. Laurent.
Source: Article paru dans le Figaro du 26 avril 1913.
0 comments :
Post a Comment